Résumé : La notion de donut introduite par Kate Raworth illustre la notion de soutenabilité par deux cercles concentriques qui délimitent une zone intermédiaire. Le cercle intérieur représente un plancher social qui garantit une vie décente pour toute la population mondiale. Le cercle extérieur représente les limites planétaires : si elles restent en deçà de ce cercle les activités humaines sont soutenables.
Que dire du numérique dans ce cadre ? Quelle place le numérique occupe-t-il déjà dans le donut, et au détriment de quelles autres activités ? Qu'est-ce que la sobriété numérique ? La trajectoire actuelle est-elle soutenable ?
Face à ces questions la recherche en informatique s'intéresse aux impacts socio-environnementaux du numérique principalement sous deux angles : (1) Les approches dites “
Green-ICT” consistent à optimiser le logiciel, le matériel, les infrastructures de communication, de manière à réduire l'impact du numérique en soi. (2) Les approches dites “
Green-by-ICT” promettent de réduire les impacts d'autres secteurs, grâce au numérique (par exemple dans le bâtiment intelligent).
Dans cet exposé, nous verrons que ces deux approches ne suffisent pas. Les optimisations sont souvent (voire toujours) sources d'effets rebond massifs, les impacts globaux continuant à croître. Les réductions d'impacts d'autres secteurs sont toujours au stade de promesses. Les scénarios sur le futur du numérique n'envisagent qu'un panorama assez étroit. Même le scénario dit
"génération frugale" de l'ADEME comporte toujours du numérique, au service d'autre chose, questionné plutôt sous l'angle des usages individuels. Les impacts potentiels des bouleversements environnementaux sur la viabilité et la résilience des infrastructures numériques et numérisées ne sont pas bien pris en compte.
Ne serait-ce que d’un point de vue conceptuel, il est intéressant d’étudier aussi ce que serait un numérique décroissant, ou un numérique capable d’accompagner la décroissance. C'est de toute façon impératif tant les trajectoires actuelles du numérique sont intenables, avec un coup d'accélérateur récent dû à la déferlante des IAs génératives.
Dans l’examen des futurs possibles, il n’est pas possible d’éviter l’hypothèse extrême selon laquelle la fabrication microélectronique s’arrêtera un jour. Pour étudier des scénarios non techno-optimistes où le numérique décroît, éventuellement jusqu'à s'effacer, la recherche en informatique doit accepter de s'attaquer aux principes-mêmes de conception qui semblent conçus pour ne fonctionner que dans le sens d'une croissance sans limites. Il nous faut apprendre à déconstruire, simplifier, découpler, dénumériser.